28 avril 2024

Apprendre à « être » pour mieux « faire »

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De l’importance de construire une bonne relation avant de lancer toute grande action.

Blandine et Edgar, un jeune couple venu en coopération avec Fidesco (organisation catholique de solidarité internationale), sont arrivés en Tunisie en 2021, au service de nos écoles. À notre grande joie, à l’échéance de leur contrat de 2 ans ils ont choisi de prolonger d’un an leur présence parmi nous. Ils nous offrent leur expérience par rapport à une suggestion qu’ils ont prise au sérieux et qui est précieuse pour tous : apprendre à « être » pour mieux « faire ».

Lorsque nous sommes arrivés à Tunis, nous avions en tête les dernières recommandations de Fidesco : « Ne prenez aucune initiative les 6 premiers mois, mais profitez de ce temps pour soigner la relation à l’autre. Pensez à « être » avant de « faire ». » En bons élèves, nous avons acquiescé, peut-être sans vraiment réaliser à ce moment-là ce que cela signifiait réellement.

Blandine :

Rapidement après notre arrivée, nous nous sommes retrouvés dans le bain de la mission avec pour ma part 1000 choses à faire avant la rentrée scolaire. Et nous sommes venus pour ça, pour l’action et pour mettre nos compétences au service du diocèse. Mais la dernière directive de Fidesco a toujours été dans un coin de ma tête : n’oubliez pas « d’être » avant de « faire ». Et deux ans plus tard, je peux constater les fruits de cette attitude.

Edgar :

Quant à moi, mon arrivée a été plus tranquille. Le début de l’année a commencé presque un mois après. Cette période m’a permis de me perdre dans notre quartier, la médina de Tunis. En flânant, j’ai discuté, j’ai découvert, j’ai suivi beaucoup de personnes pour comprendre l’histoire du lieu, mais aussi la géopolitique du pays dans lequel nous habitons. Lors des rencontres avec les personnes qui me guidaient, je leur expliquais mon but de mission tout en précisant le rapport à l’argent que cela engendre :  je ne peux pas les « payer » au même titre qu’un touriste européen, n’ayant absolument pas les mêmes revenus. Je ne suis pas là pour faire de l’argent, mais pour vivre parmi la population avec le même salaire, les mêmes conditions et les mêmes difficultés qu’eux. Je n’ai « rien fait » ce premier mois, j’ai été obligé « d’être ».

1       « Être » avant de « faire », oui, mais pourquoi ?

Le temps que l’on passe à construire la relation – bien qu’il donne l’impression de « ne rien faire » d’un point de vue concret – prépare le terrain à l’action. Je peux avoir des idées de projets, des envies de faire avancer les choses, mais si je suis seul à les porter et à vouloir les imposer, il y a de très fortes chances pour que cela échoue.

Le point à côté duquel on ne peut passer est la différence de culture. Ce n’est pas parce que tel élément fonctionne parfaitement bien chez moi qu’il est adapté au pays dans lequel je suis envoyé. Il ne suffit pas de savoir parler la langue pour être directement connecté avec les locaux. Nous le voyons bien lors de rassemblement francophone : les différences de culture entre les Ivoiriens, les Camerounais, les Français, les Burkinabés, les Québécois… Tous parlent le français, mais ce n’est pas toujours facile de s’accorder ! Mais comment s’en apercevoir si je ne prends pas le temps de découvrir la culture dans laquelle j’ai atterri ? Parfois, une conception irréalisable dans mon pays peut très bien se faire dans un autre. Tout est une question de point de vue, et en tant qu’étranger, nous devons arriver en toute humilité. Nous sommes là pour travailler, aider, coopérer avec la population locale, surement pas pour leur dire que « chez nous on fait comme ça, alors c’est la meilleure solution. »

Et quoi de mieux que le dialogue pour découvrir une autre culture ? « Être » avant de « faire » est essentiel pour créer un lien de confiance réciproque. Il s’agit avant tout de montrer aux personnes qui nous entourent qu’elles nous intéressent pour ce qu’elles sont et non pas seulement pour ce qu’elles font. C’est laisser un temps d’apprivoisement réciproque. C’est dialoguer, demander, se questionner, tester…

Se sentir « étranger » n’est pas facile, mais cela nous invite à l’humilité : se sentir vulnérable, ne pas savoir, devoir demander à l’autre, apprendre constamment, des moments de doute, des moments de fragilité, des remises en question sur sa vie et sa culture maternelle…

Pape François, Fratelli Tutti, point 198 :

Se rapprocher, s’exprimer, s’écouter, se regarder, se connaître, essayer de se comprendre, chercher des points de contact, tout cela se résume dans le verbe ‘‘dialoguer’’. Pour nous rencontrer et nous entraider, nous avons besoin de dialoguer. Il est inutile de dire à quoi sert le dialogue. Il suffit d’imaginer ce que serait le monde sans ce dialogue patient de tant de personnes généreuses qui ont maintenu unies familles et communautés. Le dialogue persévérant et courageux ne fait pas la une comme les désaccords et les conflits, mais il aide discrètement le monde à mieux vivre, beaucoup plus que nous ne pouvons imaginer.

2      « Être » avant de « faire », comment faire ?

Oui, mais alors, comment « être » ? Eh bien c’est l’occasion de sortir d’une logique de rendement et de productivité. C’est le moment de développer ses capacités d’écoute et d’empathie. Mais attention, il s’agit d’une vraie écoute, celle où je me mets en situation pour recevoir ce que l’autre aura à me dire, avec bienveillance, sans jugement, sans rapporter à soi et à sa culture, et sans compter son temps.

C’est écouter mais c’est aussi se livrer si on nous le demande. La rencontre est à double sens. C’est un temps d’échange, un temps de dialogue où je peux aussi me confier si l’on m’interroge sur un sujet. C’est tout simplement « prendre le temps », accepter de partager un moment avec un collègue juste pour discuter quitte à prendre un peu de retard dans mon travail. Et c’est surtout accepter d’arriver vide de connaissance, avoir l’humilité de reconnaître que l’on a tout à apprendre.

En réalité, en fonction des cultures, reconnaître que nous ne savons pas n’est pas inné et est parfois associé à un signe de faiblesse. Il faut pouvoir se dépouiller de nos idées préconçues ou de réflexions naturelles. Il faudrait presque arriver à effacer tout ce que nous savons sur notre culture et ce que l’on pense savoir sur celle de l’autre pendant les six premiers mois pour découvrir et entrer pleinement en profondeur dans cette nouvelle culture et dans la relation. Parfois, notre journée se résume à 80% d’échanges et seulement 20% de travail… Cette situation peut être compliquée à accepter lorsqu’on est dans une logique de rentabilité et d’action, mais c’est tellement de temps et de sérénité gagnés pour la suite.

Ces échanges sont aussi l’occasion de prendre le temps d’observer chacun pour apprendre à mieux les connaître et à cerner leurs spécificités. Au quotidien, c’est identifier celle qui a un coup de fatigue, un coup de mou et lui faire comprendre par un ou deux mots qu’on a remarqués, et qu’on fera attention à elle. A ce moment-là, c’est aussi laisser une porte ouverte à un échange et accepter que cela puisse durer plus longtemps que prévu. Parce que oui, cela prend du temps. Je ne vais pas gagner la confiance de l’autre parce que je lui ai demandé deux fois s’il va mieux depuis sa dernière maladie. D’où les fameux 6 mois, et même encore à ce moment-là, rien n’est acquis !

« L’amitié se gagne en goutte, mais se perd en seau » nous a dit une amie Tunisienne. Cela montre bien le travail de fourmi qu’il faut fournir pour soigner la relation à l’autre et comprendre son environnement. Mais c’est tellement de joie de rencontrer l’autre en profondeur et tellement plus facile de travailler ensemble ensuite, et c’est pourquoi « être » avant de « faire » est incontournable.

Blandine & Edgar-Alixan MICHALON, coopérants Fidesco

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